Audition des victimes : un retour vital à la relation créative

Les personnes, qui ont subi des violences, ont besoin d’un cadre d’audition qui prenne en compte la « colonisation émotionnelle » de leur agresseur et la necessité d’un retour vital au processus de relation créative avec elle-même, l’Autre et le monde qui les entoure. 

Dès la première prise en charge, ce cadre relationnel peut leur permette de :

  • se « décoloniser » de l’agresseur et de ses mécanismes pervers (Muriel Salmona, Podcast Ou peut-être une nuit 1/6: « Ce que ma mère ne m’avait jamais dit ») 
  • restaurer pleinement leur place et leur parole au sein de notre humanité et de ses lois.

Il faut parfois des dizaines d’années aux victimes de violences pour pouvoir accéder à leurs souvenirs et mettre des mots sur ce qu’elles ont subi.

Les mots qui racontent l’histoire de la perversion, nomment l’innommable. Ils demandent d’accueillir l’insupportable et l’inacceptable. Ce sont des mots qui chargent, qui « salissent » l’humanité de celui qui les livre, la victime, mais aussi de celui qui les reçoit, l’écoutant ou l’accompagnant. 

La parole qui dénonce le vécu du harcèlement, de l’inceste ou du viol anéantit et sidère ceux qui en sont témoins. La parole qui n’enrichit pas l’histoire de notre humanité ne peut pas être accueillie sans une mise à distance émotionnelle afin qu’il y ait une désidentification pour celui qui la livre et pour celui qui la reçoit.

Nous n’avons pas encore acquis les compétences de prendre spontanément du recule face à ce genre de récit.

Sans distance, espace et temps, il a été difficile aux victimes des camps de concentration d’être accueillies à la hauteur des horreurs qu’elles avaient subies. 

Sans possibilité de désidentification, les victimes préfèrent ne pas parler. Pourtant nous savons l’impact des non-dits pour les victimes elle-mêmes et leur entourage, leurs enfants et leurs petits enfants.

La parole qui témoigne d’actes violents doit être prise en considération dans sa toxicité pour tous. Plus qu’une mise à distance d’une histoire personnelle, c’est de l’Histoire de la perversion dont il est question et dont il faut tous nous protéger afin de stopper la contagion de ce schéma relationnel destructeur.

Dans le contexte d’une pièce de théâtre, d’un livre, quel que soit le degré d’horreur exprimé, si il y a un cadre qui permet la distance, l’acteur (ancienne victime ou non) et les spectacteurs peuvent partager et accueillir les souffrances sans déclencher le réflexe de protection du déni. 

Des espaces d’accueil existent pour accueillir le témoignage de la violence avec distance qui ne mettent pas en danger la victime et les professionnels (policier, médecin, assistante sociale, éducateur spécialisé, psychologue), car nous sommes tous concernés directement ou indirectement par la perversion.

Dans beaucoup de cas, les victimes ne peuvent pas mettre à distance physiquement l’agresseur. Ainsi, elles doivent pouvoir se protéger psychiquement du mécanisme relationnel de la perversion dès la première prise en charge.

Les victimes doivent être reconnues dans la singularité de leur cheminement, leur adaptativité, leur créativité et leurs compétences, acquises face à leur épreuve. L’art thérapie ne doit pas être le seul lieu où la créativité de la personne est prise en considération.

Exemple Wikipédia, la dissociation est définie comme une hémorragie psychique qui vide la victime de tous ses désirs, et annihile sa volonté. La victime dissociée se sent vide, perdue, elle ne se reconnaît plus.

La dissociation doit être accueillie aussi dans ce qu’elle a permis de vivre aux victimes : s’extraire du chaos, se mettre à l’abri de la violence et de la souffrance, établir une posture sécurisante, avoir une vision globale de la situation. La dissociation doit être vue comme une compétence à mettre au service d’un projet plus grand que soi.

« Tendre un miroir aux femmes pour qu’elles puissent se regarder, qu’elles voient la grandeur de leurs gestes et qu’elles soient fières de ce qu’elles ont fait. »

Helen Devynck, autrice de « l’Impunité » (https://youtu.be/u2NlAYPdL9k)

La prise en charge des victimes peut stopper le cercle vicieux de la perversion si elle ne se focalise pas uniquement sur les mécanismes de destruction et ses effets. Reconnaître les forces des victimes face à leur agresseur doit être une priorité.

Nous devons reconnaître les victimes en tant qu’OBJET des mécanismes de perversion et de destruction de l’humanité, et rétablir leur place de SUJET créatif d’humanité.

La Relation Créative des 4S dans le cadre d’une audition et d’un accompagnement de victimes

La Communication Miroir fait partie du processus d’accompagnement global de la relation créative des 4S. Cette pratique propose à la victime de mettre de la distance avec son agresseur et les mécanismes de la perversion dès la première prise en charge. C’est un accompagnement en mode jeu de rôle, qui permet de se focaliser sur les sensations, les émotions et les motivations de la personne pour sortir de la sidération et retrouver la dynamique de la relation créative dans toutes ses sphères relationnelles.

Ci-dessous, la description d’un accompagnement de victime dans le cadre de la communication miroir :

Etape 1

La victime va évoquer ce qui s’est passé avec l’agresseur, le contexte, les paroles échangées, les comportements, les réactions, les ressentis.

Etape 2

L’accompagnant se met à sa place de victime et en lui fait Miroir en évoquant son vécu sensoriel et son vécu émotionnel, et veillera à les séparer du vécu émotionnel de l’agresseur afin de commencer à redéfinir les sphères relationnelles de chacun et les limites à respecter.

Etape 3

Paradoxalement, cette étape va permettre à la victime d’appréhender les mécanismes de la perversion et les mettre à distance pour pouvoir  rétablir une relation saine.

La victime se met à la place de son agresseur.

Elle va pouvoir considérer le jeu relationnel de la perversion, l’emprise de son agresseur et la part active qu’elle a eu dans ce processus en tant que victime, le jeu d’emprise exercé par le bourreau, la mémorisation émotionnelle de l’agresseur et son identification à l’agresseur, et la sidération.

Lors de cette étape, l’accompagnant redonne pleinement la place à la parole de victime. Il lui permet de retrouver une posture de sujet-acteur et redonne une valeur à sa parole.

En incarnant l’agresseur, la victime comprend le point de vue de son agresseur, elle réalise qu’elle n’existait pas en tant que sujet, elle éprouve l’incapacité de l’agresseur à se définir dans une relation saine et respectueuse. Elle va réaliser que contrairement au pervers, elle a la capacité et la liberté de lutter contre la perversion et qu’elle a la possibilité de se coloniser de la perversion.

La victime existe en tant que sujet empathique à la recherche de relation saine, vertueuse et co-créative.

Etape 4

L’accompagnant propose ensuite à la personne de se désidentifier de son bourreau et de se focaliser sur ce qui l’émeut. Elle sort de l’emprise, devient alors une ex-victime et retrouve la pleine relation à elle-même.

L’accompagnant endosse le rôle de l’agresseur et ses mécanismes relationnels, rend active la désidentification, et de son côté peut éprouver les mécanismes de perversion de l’agresseur.

Etapes suivantes

Pas à pas, l’accompagnant invite l’ex-victime à évoluer à travers ce jeu d’identification et de prise de recul, et à passer d’un engrenage relationnel à un autre engrenage relationnel, jusqu’à retrouver un état psychique, physique et mental libre et dans la relation créative.

Pour résumer, la victime a été reconnue, elle a mis à distance son agresseur et a rétabli une relation créative entre elle et l’Autre en tant que sujet.

L’accompagnant en incarnant l’agresseur a pu identifier et mesurer les éléments de la perversion et les réels dangers encourus. Ce cadre d’accompagnement le protège du mécanisme de protection du déni face à la perversion.

Cette mise à distance avec l’agresseur ou plusieurs agresseurs, et le système relationnel pervers, peut être aussi représenté à travers des objets symboliques mais ne restaure pas la parole, le dialogue empathique d’une relation créative.

Cet accompagnement assure ainsi la prise en charge minimum qu’une victime doit absolument recevoir pour qu’elle puisse sortir de la sidération et rester actrice de sa vie.

Les neurosciences ont prouvé notre capacité à être reliés les uns aux autres par les neurones “miroir”. La communication miroir apporte un contexte relationnel dans lequel la victime peut se focaliser sur ce qu’elle a mis en mémoire le temps de son agression pour prendre conscience des mécanismes relationnels de son agresseur et établir des stratégies pour s’en dégager et s’en protéger, par elle-même grâce au processus d’accompagnement de la Relation Créative des 4S.

Les êtres humains sont doués de résilience pour s’adapter et être créatifs si nous offrons du soutien et de la reconnaissance à leurs stratégies corporelles, cognitives et comportementales sous toutes ses formes.

En accueillant la dynamique des émotions dans un cadre soutenant, sans aucune idée préconçue du chemin qui doit être pris, nous pouvons prendre alors conscience des mécanismes relationnels qu’ils sous-tendent et agir en conséquence.

Tous concernés par de simples dysfonctionnements relationnels qui peuvent se transformer en violences quotidiennes et en harcèlement, en acceptant de faire évoluer nos modes et contextes relationnels, nous pouvons alors intégrer de nouveaux réflexes relationnels dans notre quotidien, comme celui de la Communication Miroir, et dire NON à la culture de la perversion et nous engager dans des projets créatifs qui mettent en avant la relation créative constructive.